Le pont-canal s’éloignait tandis que le sourire de l’ange de Saint-Etienne m’accompagnait.
Partout volutes et arabesques en émaux colorés chantaient le fleuve qui, pour l’instant, demeurait invisible.
Chaussé de semelles nomades, je partais à la rencontre de la Loire, le plus long fleuve de France.
Guidé par la course des nuages gonflés de nacre, je laissais courir le jeu ailé de mon imagination.
Tel fut le premier éveil au sentiment de la beauté.
Je pénétrais sur cette terre de lumières proche de Briare, un lieu pour échapper aux apparences, un coin du Loiret pour admirer et aimer.
Dans un premier temps, je me contentais de suivre le canal latéral sous les ombrages du chemin de halage.
Libre, heureux comme un soir d’été, j’exultais dans le bruissement des peupliers.
La poésie reprenait vie, couleur et intensité.
C’était comme si l’enfance se prolongeait.
L’éclat des élytres d’une libellule bleue m’invitait à rester à l’affût dans cet écrin du monde aquatique.
Les soieries claires des berges me conviaient à broder le temps.
Par instant, la beauté était si vive qu’elle devenait indescriptible.
Au claquement d’un bec derrière le talus alluvial, j’avançais. La Loire était proche.
Je la rêvais drapée dans un voile de toile bleue, odorante à chaque méandre.
Je grimpais sur la levée, aidé par la danse des papillons sous la brise de Loire.
Tous mes sens en éveil, la main en auvent sur les yeux, j’apercevais la Loire, souple, pénétrante, déliée, musicale.
Bleutée par le fil des courants, rousse près des grèves caillouteuses, j’avais envie de l’embrasser.
Entre deux bancs de sable, les touffes d’osier riaient, serties d’un anneau céruléen.
La Loire devenait Muse.
Je l’imaginais câline sur une grève sablonneuse, tendre au froufroutement d’une roselière, amoureuse au gré des courants, chantante au déversoir, insoumise et fougueuse les jours d’orage, s’ouvrant jusqu’aux berges, haletante, frémissante de tout son corps sous les éclairs qui la fécondait en un long plaisir.
Elle savait s’abandonner sur le fauve des galets quand les grèves se colorent d’un bleu turquin tirant sur l’indigo.
Alors, elle veillait la nuit entière, allongée dans l’épaisseur soyeuse du sable d’une oseraie.
Le vent de l’aube lui apportait cette lueur caressante qui agitait ses dessous de satin bleu.
Au fil des heures, elle redevenait lumineuse, verte amande au rebond d’une cascade, violine sur un remous, brillante et nacrée sur un banc d’ablettes, blonde et transparente au miroir d’une anse.
Loire, déesse aux paupières bleues, près de toi bien des amoureux troquèrent leur vie pour un songe.
Loire, ton chant lyrique, étonnant de force et de couleurs peut, à chaque instant, déclencher un incommensurable bonheur.
Loire, union du ciel et de l’eau, tu sais, au cri d’un courlis, faire glisser la corde d’amarrage, libérant l’esquif vers l’autre rive où m’attend, sous l’envol des volubilis d’une tonnelle, un vin de sable et de brume, hymne à Ariane dans le rougeoiement du crépuscule.
©Roland Souchon
août 2020
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