Voyelles bleues, consonnes noires
Editions ALCYONE – Collection Surya –
Illustration : Encre de Silviane Arabo - Neige -
Format 14x21 – Nombre de pages 86.
Ponctué d’espace et de silence, c’est pourtant une longue histoire d’amitié et de poésie - nos regards portant dans la même direction - qui me relie à Monique W. Labidoire et c’est avec forte émotion et bonheur que je découvre aujourd’hui « Voyelles bleues, consonnes noires », le dernier né d’une déjà longue lignée, qui s’est nourri de toutes les graines d’expérience des ouvrages précédents.
Les concessions ici ne sont pas de rigueur, car nous découvrons une poésie hors mode, à contre-courant qui n’a de cesse d’écarter les surplus et autres accessoires de la versification traditionnelle, afin de mieux retrouver la voie de l’émotion pure.
Chez Monique W. Labidoire nous croisons de rares et belles images touchées par la grâce de l’insolite et de l’inattendu. C’est une écriture d’orfèvre de haute lignée, le verbe est riche, nourri des plus subtiles nuances de l’interrogation, mais aussi de l’affirmation.
Notre poétesse prend la parole par la main, comme une compagne de route et la glisse dans sa besace pour en faire son viatique.
Il y a dans ce recueil une notion de pèlerinage fractionné de stations. C’est un langage qui nous étonne, nous surprend, il ne nous est en rien familier, mais nous offre cet intérêt où tout est remis en question, le mode de pensée est revisité. Monique W. Labidoire se détourne des reflexes, s’extirpe de la banalité et des sempiternels clichés du verbiage poétique commun. Elle détient l’esprit du guide qui ouvre des voies nouvelles, ou tout du moins autres, en restituant à la poésie son sens du sacré, notion qui actuellement a tendance à s’étioler :
« Il est temps d’ancrer le chant au firmament des étoiles.../... »
Afin de demeurer crédibles, nous devons considérer cette œuvre comme étant de la poésie de haute couture où les mots sont précieusement tissés et où le verbe est brodé de fil d’or.
Le temps passe, préludant la chute inévitable, cependant l’interrogation demeure face à l’inconnu et le poème en appelle au sens. Là où Arthur Rimbaud voyait des voyelles multicolores, Monique W. Labidoire les voit en bleu. Son langage est très singulier, personnalisé à ce point que le simple jeu musical de l’écriture signe le poème. Cette dernière demeure sensible et attentive à l’instant qui déclenche en elle une soif de désir et de plaisir. Elle cultive ce besoin impérieux de faire renaître la mémoire de son « maître » Eugène Guillevic, jamais elle ne manque l’occasion de le mentionner, de lui adresser un petit clin d’œil complice au-delà des nuages : « Le monde se résume/ Sans se réduire. » (1)
Langage riche et ciselé portant haut une poésie qui est un long chemin s’associant au destin, tout en donnant sens et forme à la vie. Une poésie qui parfois réveille une vision de l’ultime, qui interroge tout en écoutant au loin le glas qui résonne avec pour battant l’énigme des mots tissés à la vie.
Entre ces pages la poésie est vécue telle une expérience, une émancipation, une élévation possible de l’homme et de la parole où se profilent beaucoup de possibles, comme celui de prendre en plein cœur le nom « fraternité. »
Néanmoins il arrive à notre amie de se sentir en perdition, de chercher sa route au cœur d’une croisée et de faire le point.
Monique W. Labidoire appartient à cette confrérie de poètes qui cherchent d’autres vibrations, d’autres sonorités, afin de s’extirper de la parole convenue. Elle cherche un renouvellement, un paysage vierge qui s’offrirait à sa plume toujours en quête d’audace et d’étonnement.
Sur la voie d’une authentique poésie, sans cesse son auteure est confrontée au questionnement des signes posés sur la page blanche où l’interrogation en arrive à perdre la raison et où le verbe se dénoue de sens.
Les authentiques poètes se font voyants et qui oserait en douter lorsque quelques mois avant le préoccupant épisode pandémique, notre amie écrivait :
« .../... marionnettes sans ressorts s’enfonçant dans les nouveaux bourbiers du monde, ce monde ruiné de ses richesses pillées par les barbares. »
Par le poème, restituer la vie, fédérer l’espérance, tel est le crédo de notre poétesse.
Au fil du temps, il arrive que le poème amasse mousse pour revenir vers son auteure en heure de gloire, en odeur de sainteté, tel le fils prodigue que le poète retiendra pour son œuvre.
« Ce jour, auprès de vous, le poème veut revenir. »
Le poème invite à l’errance vers des paysages oubliés, il réveille des images enchantées, chargées de beauté, mais se heurte au mur de la mémoire et à la douleur récurrente.
« .../...toute cette mémoire de mots-images qui ont gambadé dans les campagnes.../... »
« .../...et j’ensable mes souvenirs et mes morts sur la grève afin que le ressac les féconde. »
Ici certaines images se dissimulant dans les brouillards de la Shoah ne sont pas loin.
Le poème se fait gerbe florale en son jardin obscur et parmi de nombreux au titre de l’exception, je soulignerai un magnifique texte dédié à Alain Duault, poète, écrivain et musicologue de renom, qui n’est pas sans évoquer les voleurs de feu que sont les poètes chers à Arthur Rimbaud :
« .../...j’ai laissé entrer l’autre poète, mon frère, afin de partager le plus intime.../...les consonnes apatrides, les voyelles étrangères qui prennent sens dans le feu volé.../... »
La poésie remonte toujours à une source que l’on croyait tarie, une étoile que l’on pensait éteinte et que l’on retrouve écumante ou brillante comme à l’origine.
« Au matin d’un nouveau monde y aura-t-il toujours un cœur palpitant au rythme des étoiles en quête du chemin ? »
Monique W. Labidoire a quelques velléités picturales en colorant ses voyelles en bleu, comme si elle souhaitait nous faire un petit rafraîchissement de printemps ! Mais qu’en sera-t-il demain ?
Le temps est venu de vous quitter et je ne saurais trop vous inviter à vous imprégner intimement de ce recueil, dont je n’ai plus qu’un mot à vous dire « rêvez ! » pour clore cette réflexion en partage avec Monique W. Labidoire en lui souhaitant que cette source se tarisse le plus tard possible et qu’elle veille encore longtemps sur la proue de la clairvoyante beauté.
Il ne vous reste plus qu’à retrouver les symboles et plus particulièrement les signes que cet ouvrage contient pour vous. Alors :
« Voguer au ciel de traîne jusqu’à la définitive rencontre des goélands .../... »
Michel Bénard.
(1) Eugène Guillevic extrait de « Magnificat »