Librairie-Galerie Racine, premier trimestre 2020,15 Euros.
En ce livre (complété d'une superbe peinture de Colette Klein et d'une non moins belle préface d'Alain Duault), la sourcière (sorcière?) dionysiaque des mots et des eaux lustrales, accrochant sa force de vie au thyrse de la jouissance, célèbre la sauvagerie universelle des temps d'avant les codes, des temps où la conquête des sens importait davantage que la quête du sens. Nicole Hardouin blasonne la jouissance.
Son héraldique? Les mots du corps, mais aussi l'écriture même, modèle de souffle, incitation à la ferveur gourmande à l'approfondissement de la nudité des origines. Lilith a précédé Eve, revendique-t-el1e. Femme suzeraine et indomptée, vouée au plaisir, le serpent lui-même, symbole de la luxure, s'avoue vaincu devant plus forte que lui. La chair carnassière s'éblouit, fête chamelle sans frein, sans culpabilité, sans entrave.
Lilith évoque-t-elle sans trêve l'accomplissement de la chair, de peur de mourir à1'aube? Il faut conjurer les fissures de l'existence par où peuvent fuir l'attente et le désir. Le désir voyageur sans étoile, incessant mendiant entre le seuil et le passage, Athanor dans lequel la poète alchimiste transmue les ténèbres en liberté. Le désir, seule brisure portant I'espoir d'un possible. Et cette chair exubérante livrée au lecteur finit par être vue par un paradoxe apparent comme une porte à peine entrouverte sur un secret.
Alors advient la perte. Dans le sillage d'Adam s'engouffrent la procréation et les tabous à elle attachés. La jouissance partagée n'est plus de mise. Le serpent dompté, rampe. Lilith, en fuite traverse le miroir. Pourra-t-elle revenir? C'est ici que s'avancent conjointement l’imaginaire et la mémoire. Parviendra-t-elle à fàire jaillir les contraires (vide-surgissement.silence-cri), être à la fois « revenante. devenante » ou l’'absence étant définitive, muée en fantasme? « Nuit de lave, drap de suie »
Les descendants d'Adam sont devenus désir inassouvi, recherche furieuse de 1'avant ou tristesse sans fond. Sans guide pour leur enseigner les arcanes de la jouissance pure et heureuse, ils se réfugient dans la violence et les turpitudes de la chair.
L'alchimiste rameute ses souvenirs (la perte est-ce qui nous aide le mieux à nous souvenir). Y puisera-t-elle force pour revenir? L'aveu perce « J'ai toujours voulu dominer, fut la cause de ma chute ».Que peut-on réinventer? La perte se lance dans une folle poursuite avec le manque et le désir (manque désir perte manque). Le désir fàit du manque un infini. L'égarement-folie du début devient égarement-errance sur le chemin sans objet, |e chemin qui n'existe pas (« Marcheur, il n'y a pas de chemin » A.Machado).ou alors, ce chemin n'est-il que l'égarement lui-même?
Le retour ( Etemel Retour?) amènera avec lui la distance qui, mêlée à la fusion primitive, pourra peut-être enfin générer la véritable rencontre, charnelle et spirituelle à la fois. L’essentiel, finalement, ne serait-il pas dans I'inachevé ? Dans la clandestinité entendue comme territoire où l'être humain brise son carcan (le but) pour se réconcilier avec lui-même (le chemin)? Il n'y a début ni fin à rien. Le souffle inouï de la grande prêtresse projette à notre face nos propres vapeurs méphitiques et caressantes à la fois. Peut-être les seuls initiés auront-ils le droit de venir avec elle approcher le désir et le manque en même temps, à la recherche de l'unité (des corps et des esprits) perdue.
Nous sommes parvenus aux confins. Juste au-delà, c'est l'énigme primordiale. Cette écriture chamanique et charnelle nous amène au plus près. Danger, brûlure, mais aussi talisman pour les temps d’inclémence.
Jean Louis Bernard
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