Claude Luezior : « Jusqu’à la cendre »
Liminaire de Nicole Hardouin
Illustration en 1ère de couverture de Jean-Pierre Moulin
Editions Librairie-Galerie Racine – Paris –
Claude Luezior « Jusqu’à la cendre » : l’ultime attente de l’aurore.
L’œuvre de Claude Luezior est considérable et d’un éclectisme saisissant. De ce fait, il s’avère toujours délicat de penser s’en approcher sans risque d’égarement. Où vouloir y maintenir son attention sans se fourvoyer ?
« Jusqu’à la cendre », est l'un des plus emblématique parmi ses cinquante ouvrages, car il s’annonce comme une sorte de confession à pas de velours. Le titre à lui seul est porteur d’un signe préfigurant une forte symbolique. D’ailleurs, sa préfacière, Nicole Hardouin, qui est indéniablement une plume avisée, nous situe parfaitement le contexte de l’ouvrage de Claude Luezior. Jusqu’à nous faire voir, dans l’ultime de ces « cendres », une nuance d’espérance.
Claude Luezior appartient à ces poètes de référence, jalons dont la voix porte haut. Leur foi déclenche un effet transcendant sur le lecteur attentif. Cette œuvre est une poésie du silence, de l’intime. C’est une sorte de rêve qui s’étire au fil de la nuit, dans l’attente de l’aurore, afin de doucement s’effacer dans la lumière naissante.
Le présent recueil, « Jusqu’à la cendre », est une sorte de codex nécessitant un décryptage : il ne s’offre pas à qui le voudrait, il faut le mériter car Luezior n’accepte pas de compromis. À lui seul, ce livre contient tout un univers à reconstituer : il a besoin de se livrer, mais il lui faut l’authentique chaleur de la confidence.
L'auteur convoque des formules et des métaphores saisissantes, celles de la parole d’un vrai poète. Bien précieux qui tend à se raréfier. Par ailleurs il est bon de constater que l'auteur agit au service d’autres poètes, d’autres créateurs. Ce qui explique qu’un bon nombre d’artistes jalonnent ses œuvres. Depuis toujours, l’univers des peintres, le mystère de la création, ont passionné cet écrivain : dans ce recueil « Jusqu’à la cendre », Luezior ne manque pas de leur rendre hommage. « C’est ici que suintent en désespoir balafres, cicatrices et doutes, c’est ici que dansent les blessures d’un artiste au pied de sa croix. » De nombreux noms de peintres, auxquels il consacra un ouvrage, le plus souvent un livre d’art, me reviennent à l’esprit : Pavlina, Jacques Biolley, Guy Breniaux, Armand Niquille, Hughes de la Taille, bénéficièrent de sa plume avisée, sans oublier un remarquable ouvrage sur la cathédrale de Fribourg.
Toutefois, revenons à l’acte poétique, où, tel un initié s’adressant à ses disciples, Luezior évoque nos errances fatales et nos égarements irresponsables. Avec lui, nous sommes dans l’incantation, le ressenti, le non-révélé. Tel un maître de cérémonie, il officie, il est intimement jumelé à l’acte de création, la « poiêsis ».
Apprécions également l’accouplement entre une poésie libérée et une prose poétique. Poésie libérée n’est pas un vain mot, car elle s’émancipe de toutes règles contraignantes, allant jusqu’à soustraire la ponctuation, règles il est vrai entravant le plus souvent l’expression. Ici, nous nous enivrons de « liberté-libre » qui était si chère à un certain sauvageon, Arthur Rimbaud.
Le poète Claude Luezior nous permet de pénétrer dans un mystère évocateur, sorte de voie initiatique nous conduisant sur les marches d’un autel où les vies sont fragilisées : « nos souvenirs de défroqués, étreinte qui s’effiloche comme un drapeau usé par les vaines révérences du vent ».
Le constat se fait amer, pour voir la lumière des Lumières s’obscurcir face au sectarisme forcené, à l’ignorance extrême et déconcertante de certaines religions. Pourtant le cœur se ravive lorsqu’un bourgeon de fleur peut se trouver assimilé au symbole du désir : « où l’on devine / le scandale des pétales / lèvres en désir / pour impudiques abeilles / où fantasment les silences »
Il arrive cependant au poète, « moine enlumineur », de devenir « moine-laboureur » ; ainsi extrait de la glaise, le poème s’intègre et s’associe aux bienfaits de la prière. Peut-être est-elle d'ailleurs la prière d'un agnostique, celle qui s’élève au-dessus de la dogmatique. Le poète est ici celui qui laboure les âmes façonnées et formatées depuis des siècles de soumission, de convenance, de dévotion, pour enfin les voir se fertiliser et se nourrir des sèves de la liberté : « histoire / effrangée / par deux mille ans / mais terreau / de mille autres / holocaustes.»
L’humour, supplément de vie, n’est pas mis en marge : il nous apparait sous diverses facettes avec, parfois, un petit côté fabuliste entre une salade et un escargot dont le désir est de donner une : « toute petite morsure d’amour (...) Atteint de folie pure, le voici qui traduit le verbe en vin. »
Chez Luezior, la nécessité d’écrire s’apparente à un état de survie en forme de témoignage qui laisserait une empreinte sur la pierre noircie de la grotte des origines. Dans l'esprit de ce poète attaché aux symboles, à la mémoire des pierres, nous découvrons parfois, entre les lignes, des notes aux nuances hermétiques, qui peut-être nous plongent encore plus dans le mystère de la poésie, avec cette nécessité de brièveté qui touche à l’essentiel. À la parole première, nous retrouvons : « Là, sous l’auvent, un tout petit tas : des mots d’amour pour mieux passer l’hiver ». Mais la poésie n’est-elle pas précisément ce combat pour l’Amour qui doit fédérer le devenir de l’humanité ?
Oui, la poésie nous entraine au-delà des limites du possible et c’est bien vers ce point salvateur que voudrait nous conduire Claude Luezior.
Michel Bénard
Lauréat de l’Académie française
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres