Voilà trois siècles, le Livradois-Forez était pratiquement dépourvu de forêt.
Avec l’exode progressif vers les grandes villes, la forêt a conquis ce territoire auvergnat jusqu’aux portes des villages.
Besace sur l’épaule avec leur ample blouse bleu foncé, c’est d’ici, de novembre à avril, que les scieurs de long partaient pour la Franche-Comté et le Nivernais jusqu’en Normandie.
Sur la roche-mère sont venus le soleil, la pluie et le vent.
Granite et roches cristallines ont accueilli l’humus, et l’équilibre s’est installé avec l’arbre.
Quittant le village de Saint-Amant-Roche-Savine, une ensoleillée d’octobre éclaire le coude d’un chemin pentu où s’égaye une colonie de fougères en robe d’automne.
Les fougères sont un monde sans fleur, sans fruit, sans graine, pareilles aux mousses.
Quand l’air se dessèche comme cet été durant les fortes chaleurs, la fougère laisse tomber sur le sol des quantités de cellules microscopiques appelées spores. Minuscules organes, elles évoquent le tissu primitif de l’algue ancestrale qu’on appelle le thalle où aura lieu la fécondation entre un organe mâle et un organe femelle ; alors la fougère prendra forme.
Ce qui est extraordinaire, c’est que la fougère s’obstine à témoigner, après des centaines de millions d’années, de ce que fut la première conquête de la terre.
Après avoir croisé l’alisier et le sorbier, je les aperçois dans l’air vif et le chant des grives.
Silhouette parfaitement conique s’élevant jusqu’à soixante mètres, tronc droit, écorce lisse gris argenté, le sapin pectiné est ici dans son aire naturelle.
Il côtoie le pin sylvestre, arbre de lumière à l’écorce moirée de craquelures roses. Son architecture se pare de mille fantaisies, ses branches se tordent, se coudent, s’élancent toujours vers la lumière.
Heureux des étés chauds et des hivers rigoureux, le pin sylvestre peut atteindre trois siècles.
L’arbre, compagnon de vie n’est jamais seul , il vit en symbiose avec les champignons ; les filaments souterrains des bolets et des chanterelles enserrent, étreignent les racines de l’arbre. Ces commensaux, hôtes bienfaisants aident l’arbre à déliter minéraux et roches, à libérer les indispensables éléments qui, sans eux, resteraient gîtés, inutiles dans le sol. C’est par eux que l’inerte azote de l’air entre dans le tourbillon de la vie, énorme fabrique d’aliments et engrais naturel pour l’arbre.
A l’orée d’une sapinière à myrtilles, le farouche pic noir attend, comme chaque année, la bécasse.
Tandis que là-haut, franchissant avec aisance le col du Béal, le milan nous dit :
« On va dans les étoiles et on ne sait toujours pas ce qui se passe sur le talus en face de chez soi… »
Automne deux mille dix-neuf,
au pays de Gaspard des Montagnes
©Roland Souchon
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