De lourds cernes violets entourent ses yeux lorsque, cédant à la fatigue, elle s’abandonne et s’endort aussitôt.
Le temps d’un rêve, et elle se met à sourire en regardant les volutes aériennes de trois martinets, saltimbanques du ciel.
Avec ce ballet de l’azur résonne sa voix au fond du jardin.
Le jardin clos où coule une fontaine déploie une à une ses couleurs.
Mai est capricieux cette année. Le temps d’un battement de cils et l’iris déroule sa soie, tandis que le lilas blanc retient sa grappe laiteuse.
Eternelle fuite du temps !
La verte ronce rebelle s’enlace autour d’un masque de pierre pour offrir sa révérence à la blanche ortie.
Un bruissement d’ailes aiguise le regard vers le houx luisant, refuge d’une merlette aux aguets.
Une abeille frôle le corsage rubis d’une rose et s’enfonce, gloutonne, aux étamines à tête rouge d’un néflier.
Un bouquet violine de thym parfume la pierre où s’endort le dernier soleil.
A l’ombre du muret, une mésange bleue écoute tintinnabuler le muguet.
Près du poirier, l’arrosoir n’a pas bougé depuis des années ; deux coquilles jaunes y dorment d’un profond sommeil et la fidèle araignée y veille jour et nuit.
Mauve, vermillon, safran, vert Véronèse, bleu de saphir et jaune de Naples : le jardin est une palette de couleurs posées le matin dès le premier chant de l’aube, brossées au vent d’autan, cousues au fil de l’averse et vernies au soleil de midi.
Quand le soir creuse son nid, les couleurs s’échappent une à une en déclinaison.
L’angélus sonne. Le bleu de Giotto vient de naître, cristallisant le mystère du jardin.
Les couleurs du jardin renouent à notre origine : la terre, matrice de la lumière, harmonie du cœur et de l’esprit.
Au premier croissant de lune, les yeux céladon de ma mère vibrent dans leur sauvage beauté.
©Roland Souchon
Mardi 28 mai 2019
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