
Ils sont là rassemblés
Pas de noms, pas de mots
Juste des numéros
Où vont-ils ? Qu'ont-ils fait ?
Pourquoi sont-ils parqués ?
Ce hangar sans hublot
Est-il réalité
Où cauchemar plutôt ?
Un train vient de passer
Dans un grand bruit glacé
On entend des jets d'eau
Un jardin, à deux pas ?
Quelqu'un vient les chercher
Ils ne sont pas perdus
Il faut garder espoir
Et regarder l'étoile
Le berger n'est pas loin
Il connaît ses élus
Lui a déjà compris
Mais il joue à y croire
Jouer n'est pas le mot
Il compte sur l'Esprit
À s'y fendre le cœur
À s'y fondre les yeux
Et répète sans fin
La prière enseignée
(La prière en saignait)
À quoi cela sert-il ?
De se frapper la tête
Contre le mur sacré
Qu'on emporte avec soi ?
C'est la force du faible
Si tous abandonnaient
Le mur s'écroulerait
Tout s'anéantirait
Il regarde le ciel
Le gris-bleu enneigé
Des toitures alignées
Les oiseaux dans le vent
Les oiseaux innocents
Qui repassent l'espace
Et le ciel qui se froisse
La vie est à deux pas...
Il fait passer des mots
Pour laisser une trace
Il est toujours poète
Et reçoit la disgrâce
Au milieu de sa quête :
L'odeur des fours là-bas
Tout près, juste à deux pas...
Il lui faut tout écrire
Tout écrire ! Il le faut !
Il a beau être en nage
Il a froid jusqu'aux os
Il écrit... il écrit :
J'entends des bruits là-haut
On dirait des oiseaux
Le ciel bleu
Le printemps
Mon amour
Il fait beau
Je t'attends
Je suis à Birkenau...
Il écrit... il écrit
À deux pas de la vie
La neige de la page
Ensevelit ses mots
© Jeanne CHAMPEL GRENIER