28 juillet 2018
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Aux Forêts-Citadelles, le soleil est un banni, la lumière une pénitente en sursis. La futaie s’obsède de silence. Dans la pénombre, au sein des déliquescences, des tiédeurs lacustres, sommeille la descendance du Serpent ; sentinelle du monde qui enserre la terre diurne étreinte profonde.
Mais, fils ignorant de son illustre Père, le grand écailleux sans mémoire n’est qu’un fleuve de chair. Déployant ses méandres, dans la mouvance de ses anneaux, il avance inexorable, tel le courant. Devant l’onde, la végétation succombe. D’un doux susurrement, sa langue sonde l’air et le gibier sidéré, subissant sa loi, se noie dans l’incandescence de son iris.
Au labyrinthe marécageux, le reptile, repu, s’endort et, sous l’assaut des réminiscences, sombre dans l’inconnu. Les soubresauts du rêve ravivent son histoire. En lui, s’éveille l’antique savoir du Serpent. Héritier d’une race éteinte, témoin d’un âge révolu, face à l’indéchiffrable passé son œil se trouble. Il est une bête sans souvenir, une bête voulant s’assoupir. Nerveusement, il noue et dénoue la moire de son corps. Sa tête se dresse inquiète. Il hésite, se ravise et d’instinct fuit vers son royaume, le limon des mangroves secrètes.
©Béatrice Pailler
Recueil L’heure métisse
In Jadis un ailleurs L’Harmattan 2016
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