22 juillet 2017
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Tangue, tangue le rafiot, forte houle au creux de l’eau.
Vogue la vague, jamais ne chavire, saute, tressaute le navire.
Dans l’entrepont enténébré s’amoncellent les remugles, soufrés des vieux pets, aigres, piquants de chou, d’oignon. Parmi les ombres rampantes, à la lumière chiche des brandons, dans cette fournaise de la coquerie enfumée, l’homme de l’art, luisant de gras, aux fourneaux rageusement attise les braises. Maître-coq, ta gueule d’enfer aux poils roussis, cuite et recuite, se chauffe rougissante aux culs des poêlons.
Vogue la vague, jamais ne chavire, saute, tressaute le navire.
Roulent, déboulent, s’agitent les flots, fessent les flancs du bateau.
Ce diable d’homme contrefait, aux jambes arquées, tout couturé, tout tailladé, au gré du roulis, d’un bord à l’autre, glisse, sautille et s’arc-boute, bancal, au plancher mal équarri. Des creux, des bosses, il faut que ça bouge, il faut que ça danse et au fond des marmites malmenées, chante le bouilli. Pourvoyeur de vivre, il sait que belle provende donne bonne pitance, leste le ventre et réjouit l’affamé.
Roulent, déboulent, s’agitent les flots, fessent les flancs du bateau.
Festons d’écume au faîte des vagues et les lames de mer mugissent, divaguent.
Surtout, ne jamais oublier les tristes jours sans graisse, ni gruau, jours infâmes faits de suif et de sciures mêlés. Il a connu les voyages hasardeux, les traversées malheureuses, au manger médiocre vite épuisé, vite gâté. Il a vu des hommes, épaves en sursis, ronger cordages ou voilures et des harnais finissant au pot alimenter le brouet. Mais ce soir, le rata est solide et avec une pleine ventrée de ce ragoût épicé, le matelot repu aura la panse bien calée.
Festons d’écume au faîte des vagues et les lames de mer mugissent, divaguent.
Tangue, tangue le rafiot, forte houle au creux de l’eau.
Sur son visage lunaire embué de sueur, sa lippe épaisse s’éclaire d’un sourire édenté. Hilare, sa bouche torse dévore sa face camuse. Ici, il ordonne et prélève sa dîme, un peu de ci, un peu de ça, le regrat du carré. Cuisinier cambusier, envié, craint, il est le maître de l’office où tonne son rire d’arquebuse. Il sait que demain foisonne de souvenirs, d’aventures non vécues. Sa fortune, il ira la cueillir, de la pointe d’un harpon, au plus loin de la terre. Pour lui, vagabond des mers, le retour est impossible. Il sait qu’un jour, sous le vaste horizon crêté de vent, l’océan lui offrira le repos d’une couche, douce d’écume, blanche de sel.
©Béatrice Pailler
2015- Recueil « L’heure métisse » - Prix Jean Giono 2015 de la Société des Poètes Français
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