20 avril 2017
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« Dites donc les mecs, lance le chef de bande, vous êtes timbrés ou quoi ? Arrêtez votre tohu-bohu, on ne nous a pas demandé d’ambiancer la rue. Reluquez plutôt la gueuse ! Oh c’te touche ! Un vrai bâton de chaise ! Et sa bouille ? On dirait une pomme blette. Même si j’avais faim, j’en ferais pas mon repas. Et avec ça, fichue comme l’as de pic. Elle a l’air aussi à l’aise dans sa robe informe qu’un poisson dans un litre de porto ! Mais pour l’instant, je suis en train de me cailler le mou pour savoir si elle est vivante : elle est plantée là comme un piquet, toute raide. Mais v ‘là qu’elle ouvre sa gobeuse ».
« Vous les p’tits rigolos, les hurluberlus, vous vous croyez fortiches à dégoiser ainsi sur mon compte. Vous débloquez le gars, vous dévissez du cabochon. Mais toutes vos fariboles, vos boniments à la graisse d’oie, vos dingueries et vos guignolades, je me les balance par dessus l’épaule et je m’en bats la paupière. Vous vous prenez pour des durs, pour les balèzes du quartier, mais vous manquez de moelle, de jus. Par contre, des hannetons dans votre soupente, vous en avez à tire-larigot. Et puis, vous vous êtes déjà regardés ? Faites-donc fonctionner vos mirettes. Vous vous imaginez élancés comme un cyprès alors que vous avez le pétrousquin tout près du gazon, autrement dit, vous êtes bas du pont arrière. Je vous vois mal danser la girandole. Cela vous épate, ça vous en fiche plein les lanternes que ce mot là sorte de ma goule. Forcément, votre niveau intellectuel est nettement inférieur à celui de la mer. Vous ne pensez qu’à la gonflette de vos bras, tans que vos neurones se la coulent douce. Vous savez quoi ? Vous allez devenir des ramollis de la rotonde. Mais un cerveau, ça se muscle, bande de crétins indécrottables ! Moi, j’ai mon Petit Robert que j’aime à la folie. Avec lui, chaque soir, je m’enivre, je m’enlumine, je m’empolissonne, je m’ensniffe, je m’engouffre dans les mots, histoire de m’allumer les méninges. Un coup de lumière, t’y vois plus clair et ça change tout. Ah les mots ! Les mots crémeux, beurrés, fondants ou craquants sous la dent, les mots précieux et rares, tarabiscotés et tortueux, pittoresques et loufoques. Et que dire des mots endimanchés dans leur robe de bal, des mots si doux et si beaux qu’on leur voudrait des joues pour les embrasser ? Et puis, avez-vous déjà écouté la petite musique des mots ? Mais elle vous chavire, vous met sens dessus-dessous, vous donne la chair de poule, elle peut même vous faire gicler dans les étoiles, elle pourrait, j’en suis sûre, réenchanter le monde ! Tiens, tiens, c’est une petite lueur que j’aperçois dans vos yeux de merlans frits. Par hasard, commencerais-je à vous chambouler le palpitant ? Mais enfoncez-vous ça dans votre calebasse : pas question de vous fréquenter, les gars. J’aurais trop peur que vous effarouchiez mon pote-en-ciel. Et maintenant, tirez-vous de là, allez traîner vos grolles ailleurs, sinon ça va bouillir. J’ai en réserve un ouf énorme qui ne demande qu’à sortir de ma goule. Et quand ça va se produire, il va jaillir comme un boulet. Faites gaffe à votre théière, les mectons, une théière, c’est si délicat…
©Michèle Freud
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