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6 avril 2017 4 06 /04 /avril /2017 06:50
Filou le clochard – Michèle Freud
 
 
 
 
 
Pour sûr qu’il était mal fagoté dans son costar fripé. Mais avec sa belle gueule d’amour et son langage fleuri, il plaisait aux dames de la haute. Pensez donc, on l’avait invité, lui Filou le clochard, à un mariage, un grand, un chic, un sélecte et en plus, on l’avait accueilli comme un prince.
 
Mais ce qui l’intéressait, c’était la bectance, la savoureuse, toute en finesse, en légèreté, celle qui vous fait saliver à grandes eaux, qui vous fait frétiller la langue et crépiter les papilles, celle qui vous met des arcs-en-ciel dans l’estom’ et vous glisse dans le réservoir à sensations des titillements paradisiaques, en un mot, celle qui rend la vie précieuse et attirante et cette vie-là, quand l’occase de présente, il faut la saisir à bras le corps et lui dire des mots d’amour.
 
Filou jubilait, il se fendait le moutardier, il affichait sa binette des grands jours car il allait pouvoir s’empiffrer et dans de la vaisselle de porcelaine bien reluisante de propreté, à croire que le soleil y avait pieuté toute une nuit tandis que la lune fricotait avec les étoiles. Ce n’était pas tous les jours qu’il se remplissait la marmite à ras bord. Et, à coup sûr, il ramènerait dans sa cambuse quelques ragotons de luxe avec en prime une poire pour la soif.
 
A mordre dans ce fruit avec tout le jus qui vous dégouline sur les babines et vous arrose abondamment le petit canal : voilà une coulée divine qui élargit considérablement le tableau des réjouissances.
 
Filou était donc à la fête, assis entre deux demoiselles d’honneur bien décidées à le faire causer. Certes, in ne donnait pas dans le transcendantal, mais il avait un de ces bagoûts à vous chamboter la cervelle. Mais, lui ne visait qu’une chose : se graisser le toboggan. Donc pas question de jacter pour l’instant. C’est qu’il y en avait de la marchandise dans les plats et si bien déguisée qu’il fallait se triturer la coloquinte pour deviner ce qui se tramait sous le masque. Heureusement qu’il y avait le menu et quel menu ! Un poème à lui tout seul, écrit avec de belles lettres dorées et tout plein de fioritures. Et le clochard lut, les papilles déjà émoustillées, la ribambelle de mets qui allaient bientôt illuminer son palais. Certes, la poésie n’était pas son pain quotidien, mais quand il la vit si chouettement fringuée, son palpitant se mit à recevoir des giclées musicales à faire danser le pape et les nonnettes. Filou a relu une fois, deux fois, trois fois le menu : les invités, eux, n’en finissaient pas de papoter : et je te jabote et je te jaspine et je te grillonne et je te lantiponne.
 
Mais depuis le temps qu’il affûtait ses meules, son estomac criait famine. Alors, il s’est penché vers sa voisine et lui a murmuré en pleurnichant : « C’est pas le tout, mais quand est-ce qu’on mange ? »
 
©Michèle Freud



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