Recension : Béatrice Pailler - « Jadis un ailleurs » Edition L’ Harmattan – collection Poètes des cinq continents – 2016 - Format 13,5 x 21,5 - 113 pages.
« .../...de sa voix s’exalte le cantique halluciné des vapeurs opiacées. » BP.
Une écriture est née ! Le décor est planté, il ne nous reste plus qu’à nous laisser emporter pour nous perdre dans les méandres de ses énigmes.
Béatrice Pailler a le don des visionnaires, elle perçoit l’envers du miroir, traverse son tain et anticipe les aurores boréales.
Elle porte sur le monde cette vision singulière et personnelle toute festonnée de nuances poétiques.
Le langage est riche, les images sont fertiles, elles enfantent des univers d’entre deux où l’on discerne tout juste la part du réel ou celle du rêve.
« .../...à cette heure, mon corps murmure les chants des anciens temps. »
Son encre est toute de miel et de douceur liquoreuse. Elle ponctue le temps plaintif, violent, béni ou silencieux.
Notre poétesse s’exprime dans un vocabulaire qui convie à l’étonnement, au ravissement.
Son chant littéraire l’extirpe de la réclusion. Elle nous suggère un voyage entre le rythme de la vie et les respirations de la mythologie, un embarquement vers Cythère où nous descellons quelques fragments d’amour aux frôlements érotiques, mais où la morsure n’est jamais très éloignée.
« A toi, je laisse, au creux d’une main, l’irritante brûlure de mon sein.../...la morsure de ma toison.
Et sur ta langue où s’enracine la fièvre, je dépose la sève de mes baisers, l’amère salive, souillure de mes poisons. »
L’écriture ciselée avec préciosité, de richesses filigranées et d’orfèvreries inusitées s’impose à nous et bouscule nos fondements.
Il arrive à Béatrice Pailler de se faire l’archéologue de la vérité et n’hésite pas pour cela à fouiller dans les cendres funéraires.
François Villon ne lui serait-il pas soudain revenu du mont des gibets dans un tournoiement de bacchantes aux parfums soufrés de Walpurgis ?
« Et la lune noire, lune du désespoir, seule au ciel luit. »
L’écriture procède d’un rythme parfois tellement réaliste qu’il pourrait nous donner le mal de mer.
« Tangue, tangue le rafiot, forte houle au creux de l’eau. »
De temps à autre nous croisons sur notre chemin de poésie quelques émanations baudelairiennes. Béatrice Pailler sait égrener avec bonheur ça et là des soupçons d’images romantiques, réalistes, oniriques, érotiques tout juste voilées au travers de formules soignées, denses, serties d’un langage des plus raffinés.
Malicieuse, elle joue de l’éblouissement des saisons, des futaies corsetées, des dentelles de pluie, des ramures ébouriffées, elle détourne l’ordre du temps.
Elle façonne son verbe par des expressions singulières et des formules personnalisées qui ne peuvent pas être lues de manière linéaire, mais plutôt de façon binaire, voire trinaire.
Les cadences se heurtent, s’opposent, de délicates frondaisons s’entrechoquent avec les pierres et les gouffres béants.
Oui une écriture est née !
Il ne lui reste plus qu’à trouver la voie de sa révélation.
Etrange, vous n’allez pas me croire ? Je me suis même surpris à penser, que c’est aussi beau que du Rimbaud !
Michel Bénard.