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22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 06:44
Le colporteur – Michèle Freud
 
 
 
Il faisait si froid, si froid que les cours d’eau étaient transformés en patinoire. Jean, qui depuis l’âge de seize ans, bourlinguait sur les chemins d’ici et d’ailleurs, n’avait jamais vu un tel spectacle.
 
Bien emmitouflé dans son manteau de drap épais, n’en finissait pas d’admirer, au bord des ruisseaux, ces labyrinthes de concrétions excentriques, ces draperies de cristal, ces buissons de corail et tous ces joyaux étincelants, éparpillés ça et là par le généreux Prince du Gel. Comme un gosse, il s’extasiait, il caressait, il effleurait avec délicatesse ces dentelles, ces festons de glace et il était heureux. Il en faut si peu pour goûter au bonheur !
Mais l’heure tournait et la route, encore longue jusqu’au prochain village caché dans une forêt de châtaigniers.
 
Un longeant un pierrier qui, grâce au froid, ressemblait à un amoncellement de pierres précieuses, il eut une pensée affectueuse pour ses amies marmottes, bien à l’abri dans des chambres rembourrées d’herbe sèche.
Il arrivait maintenant à l’entrée du bois enchanté : les énormes châtaigniers aux troncs crevassés, aux branches noueuses, étaient recouverts d’aiguillettes de givre et sous les rayons du soleil couchant, la forêt ressemblait à un verger de pêchers en fleurs. C’était d’une beauté si émouvante, si fascinante, que le chemineau pénétra, sur la pointe des pieds, dans le chatoiement de cette lumière rosée. Dans un silence de cristal, il suivit le sentier scintillant qui menait au hameau. Bientôt, il serait au chaud dans une ferme accueillante. Il viderait sa hotte sur la grande table cirée : aiguilles et ciseaux, boutons, rubans et dentelles, fils de toutes les couleurs, jupons, blouses, tabliers et chemises en coutil, broches et peignes en corne, petits livres illustrés et poupées, porte-plume en os muni d’un œilleton où l’on pouvait voir, dans la lumière, se détacher le Mont Saint-Michel. Tous ces trésors ne manqueraient pas d’attirer le regard des femmes qui quittaient rarement leur maison. Après les achats, viendrait la dégustation d’une bonne soupe au lard. Puis, bien à l’aise, le ventre repu, il donnerait des nouvelles du pays, raconterait des aventures vécues, des anecdotes et des histoires. Pensez-donc ! Les visites étaient si rares dans ce coin perdu. C’est à une heure tardive que Jean irait s’étendre dans le fenil, sur du foin odorant, protégé par d’épaisses couvertures de laine.
 
Cette vie de colporteur lui plaisait car même si elle était très dure, dangereuse parfois, elle était aussi exaltante et captivante, riche en beautés et en rencontres. Et tout au long des chemins, il cueillait les fleurs de la liberté, qui continuaient de vivre dans le jardin de son cœur.
 
©Michèle Freud

 


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  • Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...
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